Ces déchets qui n’en sont pas : pour en finir avec le gaspillage alimentaire

“Le meilleur déchet est celui que l’on ne produit pas!” 

Tel est le mantra d’introduction au mouvement zéro déchet de l’Association québécoise zéro déchet (AQZD). Concrètement, on nous invite à couper à la source. Ou plutôt, les sources.

Car oui, elles sont nombreuses, ces sources d’objets, d’emballages, de matériel de toutes sortes et même de nourriture qui, ultimement, terminent au bac, qu’il soit brun, bleu ou noir.  

Si le déficit zéro semble inatteignable aux yeux de plusieurs, permettons-nous tout de même de pousser la réflexion jusqu’au bout; est-il possible de vivre sans produire de déchets ? 

La réponse à cette question n’est pas simple, et nécessite d’abord de clarifier un autre point : qu’est-ce que c’est, un déchet ?

Laisser sa trace

Le vivant est caractérisé par la consommation de matière, la transformation de celle-ci, puis enfin le rejet de ce qui lui est inutilisable. C’est ce dernier résultat qu’on pourrait qualifier de déchet. Peu importe le règne auquel il appartient, même le plus petit organisme vivant utilise une forme d’énergie quelle qu’elle soit, et expulse les restes de ce métabolisme hors de lui-même. 

Mais, là est la beauté de la chose: dans la nature, même ce qui se retrouve rejeté hors d’un organisme se voit devenir une forme d’aliment pour un autre.

Nous, les humains (à quelques exceptions près), avons plus ou moins décidé que nous faisions fi de cette logique. 

En effet, outre nos déjections biologiques inévitables, nous laissons dans notre sillon une multitude de déchets qui jonchent nos milieux de vie sous plusieurs formes. Au passage, ils y provoquent toutes sortes de répercussions sur l’environnement et ceux qui y vivent, populations humaines comprises.

Ils s’accumulent sans trouver preneur et, malgré de nombreuses initiatives de revalorisation, force est d’admettre que la gestion de nos rebuts n’arrive pas à la cheville du système d’autorégulation que la nature s’est développé. 

Quant au nôtre, fonctionnant en parallèle, il est un modèle unique en son genre où la rentabilité prime sur la réduction à la source, et se fissure de plus en plus sous la pression exercée par la quantité croissante de matières résiduelles. 

Devant ce constat, qu’en est-il si on veut s’attaquer au problème et sortir de notre circuit fermé ? Est-ce seulement possible ? Et est-ce que tous les déchets sont égaux ?

Cachez ces rebuts que je ne saurais voir !

Faire disparaître nos indésirables hors de notre vue, voilà principalement en quoi consiste notre système. Conséquemment, il devient difficile pour tout un chacun de prendre la pleine mesure du problème, de même que ses nuances.

Ainsi, pendant que nos déchets inorganiques poursuivent leur chemin vers l’enfouissement à l’abri des regards, nous poursuivons notre vie. De leurs côtés, nos déchets organiques, remplis de potentiel, peinent à être revalorisés de manière adéquate. Mais pourquoi ?

Une étude menée conjointement par La Transformerie et la Chaire de recherche sur la transition écologique de l’UQAM a dressé un portrait de la situation du gaspillage alimentaire dans les commerces de détails et les ménages. 

Lorsque les résultats sont tombés en février 2020, le plus évocateur a été de constater qu’il n’existait pas de consensus quant à la définition de la notion de gaspillage alimentaire.

En effet, on peut y lire que « l’utilisation de certains termes — gaspillage, pertes, surplus, invendus, etc. — aux dépens d’autres [termes], est tributaire de la façon dont on aborde ce problème et influence par conséquent sa prise en charge et la recherche de solutions pour y remédier ».

Autrement dit, tout dépendant du rôle que l’on occupe dans les systèmes alimentaires (producteur.ice, distributeur.ice, gérant.e d’épicerie, consommateur.rice, etc.), notre définition du gaspillage en sera teintée, de même que notre façon d’y remédier. 

Cela voudrait-il dire que le gaspillage n’est ni plus ni moins qu’un affreux malentendu, un manque de communication entre les acteurs des différents secteurs ? En partie, oui.

Personne ne souhaite gaspiller. Mais, faute de cohésion, on dispose de denrées à la base destinées à l’alimentation humaine et encore propres à la consommation et ce, en quantités non-négligeables.

Ça signifie donc qu’une très grande partie de ce que nous qualifions de “déchets”, et traitons comme tels, n’en sont pas. 

Jouer sur les mots: une question de cohésion

Dans le cas de l’industrie alimentaire, l’étude se permet de proposer une définition claire et englobante du gaspillage afin de mieux cibler les faiblesses qui le provoquent : 

On parle de gaspillage alimentaire lorsque toute partie d’aliment consommable ayant été chassé, cultivé, pêché, élevé, produit ou cueilli, de façon intentionnelle ou non, n’aboutit pas à la consommation humaine directe.”2 

Cette définition pourrait paraître radicale ou moralisatrice. Cependant, au lieu de pointer du doigt un coupable unique, elle vise à mettre en lumière que la responsabilité est partagée par tous les acteurs des systèmes alimentaires. Qui-plus-est, l’identification claire du concept de gaspillage permet l’apparition de solutions et d’opportunités jusque-là restées dans l’ombre.

Que ce soit de la production à la transformation, la distribution, la mise en marché jusqu’aux tiroirs de nos réfrigérateurs, le périple des aliments et leurs dérivés doit être rigoureusement étudié à chaque niveau. 

Qu’on les qualifie d’invendus, de résidus de production ou de restes de repas oubliés, si ces denrées ne terminent pas leur course dans l’estomac d’un.e humain.e, il s’agit de gaspillage alimentaire

S’approprier la lutte

Alors, est-il possible de vivre sans produire de déchets ? Comme on l’a constaté plus tôt, pas vraiment. 

Toutefois, à la lumière de ces informations, on comprend qu’une fois le gaspillage éliminé de l’équation, les déchets réels se voient chuter considérablement. En effet, c’est annuellement au Québec 1.2 million de tonnes de nourriture qui ne seraient pas détournées de leur but premier: nourrir les gens.

Mais voilà, comment y parvenir ? Beaucoup d’initiatives et d’actions sont déjà en marche, et nous invitent d’ailleurs à leur emboîter le pas. L’important est d’abord de prendre conscience de notre part de responsabilité à chacun.e afin de comprendre en toute honnêteté et humilité où nous pouvons améliorer nos façons de faire, tout en respectant nos réalités individuelles. 

Dans le prochain article, on vous invite à plonger avec nous au cœur des systèmes alimentaires. On y démêlera les différents circuits, les étapes qui les constituent, et les multiples solutions qui s’y rattachent selon notre position. Oui oui, des solutions, il y en a !

C’est un rendez-vous le mois prochain, pour la partie 2 de 3 de notre dossier sur le gaspillage alimentaire ! 

 

Marie-Pier Ethier, 19 mars 2024

SOURCES : 

Bilan 2017-2021 du Plan métropolitain de gestion des matières résiduelles 2017-2024 – Communauté métropolitaine de Montréal (CMM) https://cmm.qc.ca/wp-content/uploads/2023/01/2023-01-20_Bilan_2017-2021_final.pdf 

2Brisebois, É., Cantin, G., Audet, R. (2020), La définition du gaspillage alimentaire, Contributions de la Chaire de recherche UQAM sur la transition écologique, n°8. https://chairetransition.esg.uqam.ca/wp-content/uploads/sites/48/2020/02/Fiche-synthese-La-definition-du-gaspillage-alimentaire.pdf

Brookshire, B. (2020, 22 juin) Scientists say : Excretion, Science News Explore https://www.snexplores.org/article/scientists-say-excretion?fbclid=IwAR0ALc7ctJs4ckOQJd-i89yBeaRjlWA8rJi5kFb6hjT3f3Aj2vdHeVN6qsA

Grenier, François, (2022, 18 août) Premier portrait du gaspillage alimentaire au Québec, Cent Degrés. https://centdegres.ca/ressources/premier-portrait-du-gaspillage-alimentaire-au-quebec

Larmagnac-Matheron, Octave, (2021, 22 mars). Petite philosophie du déchet, Philo Mag https://www.philomag.com/articles/petite-philosophie-du-dechet