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Débutons par un petit test.
Repensez au moment de votre réveil.
Le corps encore lourd, vous retrouvez tranquillement vos esprits, et les plans de la journée se dessinent dans votre tête. Votre première pensée émerge: quelle est-elle ?
“Aujourd’hui, je gaspille de la nourriture !”
…À moins que vous ne soyez la caricature bon marché d’un vilain de dessin animé, fort est à parier que ce n’est pas le cas !
Pourtant, on se retrouve au Québec avec 1,2 millions de tonnes par année de nourriture comestible gaspillée, et dont 28% proviennent des consommateur.rices, c’est-à-dire moi, vous, nous. Ça, c’est 336 000 tonnes qui arrivent directement de nos cuisines.
Il est évident que personne ne se lève le matin avec, sur sa “to-do list”, la ferme intention de gaspiller, mais force est d’admettre que nous avons tous un rôle à jouer dans ce bilan collectif.
Quelle est notre juste part ? Et comment s’y prendre ?
Au-delà des trucs et astuces: un mode de vie
Se nourrir est un geste qui transcende la barrière du simple besoin de base.
Au-delà de devoir manger pour survivre, nous éprouvons du plaisir à cuisiner, à déguster, à découvrir de nouveaux aliments, ou à retourner vers nos plats préférés pour visiter nos souvenirs. Partager un repas avec des gens nous rapproche en tant qu’humain.es et nous permet de nous connecter à un territoire en savourant ses richesses.
Dans le quotidien hyperactif de nos vies bien remplies, préparer les repas est devenu une tâche à effectuer, comme le lavage, la vaisselle, le ménage… Le gaspillage, bien qu’on n’y soit pas indifférent.e, se retrouve donc peut-être plus bas dans notre liste de priorités. Comment lui accorder plus d’importance ?
La vraie valeur des aliments… et des gens derrière.
On prend rarement le temps de réaliser la quantité de ressources nécessaires à la production d’un seul concombre ou d’un panier de bleuets; comment ça se compte en temps, en argent, en énergie ? Se reconnecter avec la nourriture, ça signifie aussi de prendre le temps de comprendre qui la produit, dans quelles conditions – humaines, financières, météorologiques – et d’où elle vient.
Allons à la rencontre des gens qui nous nourrissent selon les possibilités qui s’offrent à nous; visitons les marchés publics et les kiosques fermiers, ou abonnons-nous à des paniers de légumes, osons parler à nos productrices et producteurs locaux, et posons des questions sur la saison en cours. On risque d’y découvrir beaucoup, à commencer par toute la dimension humaine et les incalculables efforts déployés derrière notre botte d’asperges, en apparence bien anodine…
Comprendre la démarche, ça donne envie de prendre soin du produit et de le savourer jusqu’à la dernière bouchée !
Manger de saison
Si manger de saison n’évoque pas une image très glamour pour beaucoup de gens, notons quand même que nous sommes aujourd’hui loin de l’époque de nos grands-parents !
Actuellement, l’abondance de produits disponibles à l’année en épicerie nous fait parfois oublier qu’il y a un temps pour chaque chose, et que c’est justement ce qui rend le tout précieux. Connecter avec la dimension saisonnière des aliments nous les fait apprécier d’autant plus, dans leur caractère éphémère; le goût de la fraîcheur et de la proximité des premières fraises d’ici n’ont d’égal que le plaisir qu’on éprouve à les manger !
S’il est vrai que notre milieu nordique peut nous limiter dans nos choix de cultures hivernales, il est néanmoins important de dire que les agriculteur.trices d’ici travaillent très fort pour bonifier l’offre, question de nous faire manger autre chose que des patates et des navets ! Donnons-leur la possibilité de piquer notre curiosité avec des aliments adaptés à notre climat, et ce, dans le respect de l’environnement et de notre territoire.
D’ailleurs, l’excellent documentaire Récolter l’hiver décrit très bien la réalité de l’agriculture d’hiver au Québec en 2024 et déboulonne à merveille la croyance tenace d’une alimentation locale peu diversifiée pendant la saison froide.
Aussi, profitons-en au maximum et faisons des réserves en période d’abondance ! C’est d’ailleurs ce que faisaient les générations précédentes, en multipliant les techniques de conservation (déshydratation, cannages, marinades, fermentations, etc.) afin de ne pas perdre une miette de leurs récoltes, et surtout, limiter le gaspillage !
Les petits gestes comptent
Si c’était vrai que “ça ne change rien” de jeter les dernières bouchées ramollies de notre déjeuner pressé, ou d’envoyer au compost nos légumes tristes oubliés au fond du réfrigérateur, alors ce fameux 28% cité plus tôt n’existerait pas.
Ceci dit, si toutes ces petites quantités s’accumulent, alors c’est aussi vrai pour les petits gestes; quelques-uns suffisent pour qu’à plusieurs, une différence significative en résulte.
Mais par où on commence ?
Une méthode intéressante est d’observer vos habitudes et de tenir un compte en trois principaux facteurs :
- Les aliments gaspillés
- La quantité
- Le contexte qui a favorisé ce gaspillage
De notre côté, on aime bien utiliser une fiche d’autodiagnostic, mais une liste dans votre téléphone, ou le bon vieux papier et crayon disposés près du réfrigérateur sont tout autant utiles et efficaces.
En se prêtant au jeu sur une période d’au moins un mois, on se permet d’observer attentivement quelles pratiques se révèlent plus favorables au gaspillage.
Puis, on tente d’installer des petits changements, un à la fois. Par cette démarche, on cherche avant tout à adopter une approche consciente et bienveillante qui influencera peu à peu nos habitudes quotidiennes pour le mieux, et de façon durable.
Pour s’aider à se poser les bonnes questions, développer des réflexes de pro et même économiser (!!), on vous suggère sans modération la (re)lecture de cet article sur notre site, bourré de trucs et d’applications concrètes.
Sortons de nos cuisines !
Ce qui peut nous donner l’impression que nos petits efforts ne font pas de différence, c’est qu’on se sent parfois très seul.e.s à les faire.
À l’inverse, quand on parle avec des gens qui ont une vision similaire, le sentiment d’impuissance diminue alors, remplacé par la motivation d’ajouter de l’eau au moulin d’un changement à grande échelle.
Sortons de nos cuisines et connectons-nous les un(e)s aux autres !
- Faire du bénévolat : À La Transformerie, on l’expérimente tous les jours. Les bénévoles qui nous offrent du temps permettent non seulement à nos activités de poursuivre leur mission de sensibilisation et de sauvetage des denrées, mais aussi d’agir comme le théâtre de rencontres magnifiques et insoupçonnées !
Des gens de tous les âges, issus de milieux complètement différents se retrouvent autour de valeurs communes pour faire avancer une cause qui leur tient à cœur. On assiste à des conversations humaines et riches en idées, plus ingénieuses les unes que les autres. - Mettre les médias sociaux au service de nos valeurs : L’avantage des médias sociaux, c’est que beaucoup de groupes existent pour nous permettre d’échanger des trucs, solutions, et même nos états de découragement, et y recevoir du soutien. Avec des mot-clés comme “anti-gaspi” et “zéro déchet”, apparaissent aussitôt une panoplie d’options, dont plusieurs groupes rassemblant des gens de tous les milieux de vie et régions.
- Ouvrir le dialogue avec les gens concernés : Les commerces, nos milieux de travail, les événements, etc. sont tous des endroits où le gaspillage peut passer inaperçu. Osez ouvrir le dialogue avec les personnes en charge pour comprendre leur réalité et voir s’il leur est possible d’offrir des produits et une gestion des ressources plus adaptée à vos valeurs. Vous serez surpris.e de l’effet qu’un dialogue ouvert et respectueux peut avoir sur des façons de faire !
- Revoir nos critères esthétiques : Le coût de la vie augmente avec la sévérité des critères esthétiques: il est tout à fait normal d’espérer avoir les plus beaux légumes en les payant chers ! Mais qu’advient-il de ceux considérés imparfaits, tout aussi comestibles et pas moins savoureux ? Habituons-nous à baisser nos critères et nos attentes et manifestons-les; pourquoi ne pas proposer à nos commerçant.es d’offrir des paniers de produits déclassés pour moins cher afin d’éviter le gaspillage ?
- Unir nos voix pour se faire entendre : Oui, les pétitions réussissent à faire bouger les choses ! Un exemple éloquent est l’initiative de trois Montréalaise, dont Atlandide Desrochers, qui en 2019, a pu récolter plus de 15 000 signatures demandant une consultation publique sur le gaspillage à la Ville de Montréal. Avec l’aide des médias sociaux et en s’associant à Guillaume Cantin (co-initiateur de La Transformerie) comme co-porte-parole, la consultation a eu lieu et plusieurs recommandations effectuées à la Ville sont actuellement en voie d’être appliquées. Osons croire qu’en nous rassemblant, nous avons le potentiel de changer les choses !
Chacun.e sa part, mais pas chacun.e pour soi !
Certain.es voudraient que les changements se fassent rapidement, d’autres y sont réticent.es pour des raisons qui leur appartiennent. Entre les deux, un large spectre de gens qui veulent faire leur part, mais ne savent pas toujours pas où commencer.
Même s’il est vrai que les petits gestes ne sont pas la solution à eux seuls, ils ne sont pas inutiles, bien au contraire.
Toutes les solutions, qu’elles soient à grande ou petite échelle, sont complémentaires. Les alternatives ne seront pas les mêmes en ville qu’en campagne, ni même d’une région, d’une culture et d’un mode de vie à l’autre.
Il s’agit simplement de voir lesquelles s’appliquent le mieux à notre quotidien, dans cet équilibre évoluant entre résilience et bienveillance.
Peu importe notre situation, une certitude demeure : prendre part à la conversation, c’est s’assurer de voir sa réalité représentée dans la recherche de solutions.
C’est aussi participer à un débat sain dans l’espace public et alimenter notre intelligence collective face à un enjeu qui concerne tout le monde.
Qui que vous soyez, où que vous soyez, choisissez vos outils préférés et joignez-vous à nous pour éliminer le gaspillage alimentaire !
Marie-Pier Ethier, 22 mai 2024
Si vous aimeriez vous impliquer directement après cette lecture, c’est aussi simple que de nous envoyer un message pour devenir bénévole.